
Pour beaucoup de maladies, la recherche sur les causes sous-jacentes s’est largement focalisée sur les corrélations génétiques. La possibilité que des facteurs environnementaux interviennent seuls ou viennent s’ajouter à des prédispositions génétiques est souvent négligée, voire ignorée. – Barbara Demeneix
On a observé que les enfants qui avaient un TDAH avaient davantage de résidus de pesticides dans leur urine. On ne peut pas nécessairement conclure que les pesticides sont l’unique cause de leur hyperactivité, mais ça sonne un signal d’alarme. – Maryse Bouchard
Cet article a été écrit par Guillaume du blog Santé des enfants et environnement, et porte sur les liens entre certains polluants et l’hyperactivité des enfants.
Trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) : quelques éléments de base
Qu’est-ce que le TDAH ?
Selon la Haute autorité de santé (HAS), le trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) est défini par une association de symptômes [1].
- « Le déficit attentionnel, caractérisé par l’incapacité de terminer une tâche, la fréquence des oublis, la distractibilité et le refus ou l’évitement des tâches exigeant une attention soutenue.
- L’hyperactivité motrice constituée d’une agitation incessante, d’une incapacité à rester en place quand les conditions l’exigent (notamment en milieu scolaire) et d’une activité désordonnée et inefficace.
- L’impulsivité, définie par la difficulté à attendre, le besoin d’agir et la tendance à interrompre les activités d’autrui. »
Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) de l’Association américaine de psychiatrie (APA) [2], le TDAH fait partie des troubles neurodéveloppementaux [3].

Y-a-t-il beaucoup de cas de TDAH parmi les enfants ?
L’évaluation de la prévalence varie en fonction du type de mesure retenu. Voici quelques ordres de grandeur.
- En France, chez les enfants de 6 à 12 ans, la HAS mentionne une prévalence estimée à 3,5 % [1].
- Aux Etats-Unis d’Amérique, 14 % des enfants sont diagnostiqués TDAH [5].
D’une manière générale, la fréquence de diagnostic de TDAH est en augmentation au cours des dernières décennies [4–7].
Quels sont les facteurs de risque ?
Selon l’Institut américain de la santé mentale, les causes du TDAH font l’objet de travaux de recherches. A ce stade, elles correspondent encore à de multiples incertitudes. Si « de nombreuses études suggèrent que les gènes jouent un rôle important […], le TDAH résulte probablement d’une combinaison de facteurs » [8]. Les facteurs environnementaux font partie des pistes en cours d’investigation.
Cette piste a été suggérée par plusieurs auteurs [6,9,10], notamment par Theo Colborn, une véritable icône dans le domaine de la santé environnementale.
Par exemple : « Notre peur des produits toxiques concerne principalement le cancer et les autres maladies ou anomalies physiques. Mais la lecture des rapports scientifiques montre que le danger le plus préoccupant est peut-être ailleurs. Bien avant que les produits chimiques n’atteignent des concentrations suffisantes pour créer des dégâts visibles, ils peuvent altérer nos capacités d’apprentissage et induire des modifications permanentes de notre comportement, comme l’hyperactivité » [11].
Polluants du quotidien : quelles associations avec l’hyperactivité des enfants ?
Un lien entre certains polluants et l’hyperactivité des enfants a été suggéré par de multiples travaux scientifiques [5,12–14].
Polluants et hyperactivité des enfants : quelques exemples de polluants classiques
Métaux
L’exposition au plomb est le facteur de risque qui correspond au niveau de preuve le plus fort [5,10,13]. Depuis les années 1970, de nombreuses études ont rapporté qu’une exposition plus élevée au plomb chez les enfants est associée à des comportements associés au TDAH. Des études plus récentes suggèrent également qu’une exposition infantile est un facteur de risque pour le diagnostic clinique du TDAH.
Les autres métaux préoccupants incluent l’arsenic [5] et le mercure [15].
Composés chlorés
Certaines études identifient l’exposition prénatale aux PCB comme un facteur de risque pour des comportements associés au TDAH [5,16,17].
Pesticides
Plusieurs études ont trouvé une association entre l’exposition à des pesticides organophosphorés (PO), avant ou après la naissance, et le TDAH ou les comportements associés [5,18]. Dans ce cadre, le chlorpyrifos fait partie des PO les plus cités [10,19–21].
L’exposition aux pesticides pyréthrinoïdes pendant l’enfance fait également l’objet de préoccupations [22,23].
Phtalates
L’exposition aux phtalates a été associée à un risque accru de comportements liés au TDAH et signalés par des parents ou des enseignants [5]. Les préocupations portent notamment sur les bébés garçons [24–27].
Polluants de l’air
L’exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) au dioxyde d’azote (NO2) a été liée à un risque accru de TDAH et des comportements associés [5].
Substances perfluoroalkylées (PFAS)
Selon les données de la célèbre cohorte NHANES datées de 1999-2000 et 2003-2004, les enfants de 12 à 15 ans ayant des taux sériques plus élevés pour trois PFAs (acide perfluorooctane sulfonique, APFO et PFHxS) ont un risque accru de diagnostic de TDAH [5].
Retardateurs de flamme
L’exposition post-natale aux PBDE a été associée au diagnostic de TDAH [16,20].
Que penser des colorants artificiels ?
Selon l’Académie américaine de pédiatrie [28], « il n’a pas été démontré que les colorants et les arômes artificiels provoquent de l’hyperactivité. Des recherches menées dans les années 1970 ont montré une corrélation possible entre colorants artificiels et hyperactivité, mais aucun lien définitif n’a été établi et d’autres études sont nécessaires. »
L’Académie souligne que certains enfants semblent plus sensibles et que des études sont en cours pour mieux comprendre pourquoi.

Et pour les autres polluants ?
Entre 100 et 150 000 substances se trouvent sur le marché européen. Les tests de toxicité réglementaires sont actuellement très imparfaits [20]. C’est notamment le cas pour les effets neurotoxiques, qui peuvent avoir un lien direct avec le TDAH [9,29,30]. Le niveau de protection assuré peut donc être considéré comme insuffisant, en particulier pour les enfants et leur corps en construction.
Pourtant, les troubles neurocomportementaux imputables aux (seuls) PO et PBDE coûteraient déjà plus de 130 milliards d’euros par an en Europe [31,32].
Lien entre polluants et hyperactivité des enfants : une bonne nouvelle pour les parents ?
Changement de perspective : une augmentation de sa capacité d’action
J’ai bien conscience que lire ce type d’informations, même présentées le plus factuellement possible, peut être source d’une grande anxiété. Si c’est votre cas, je vous propose un changement de perspective.
Par exemple, je me souviens d’une conférence où André Cicolella avait un peu pris à contrepied son auditoire.
Il avait dit « Ne vous y trompez pas, je viens de vous annoncer des bonnes nouvelles ! Quand une étude sur des souris trouve qu’un médicament réduit le risque de diabète, d’obésité, de troubles du comportement et de la reproduction… sans effet secondaire, on se réjouit. Et bien ça devrait être la même chose quand on trouve que retirer le bisphénol A aurait le même type d’impact. »
Je trouve que ce point de vue peut s’élargir à notre action de parents. Si une substance correspond à un risque accru de TDAH, alors un parent peut se renseigner sur comment diminuer les expositions de ses enfants.
Et moi, personnellement, cela me plaît bien plus qu’un « c’est génétique, vous ne pouvez rien y faire ». Parce que cela redonne aux parents une marge de manœuvre, cela augmente leur capacité d’action, cela contribue à diminuer leur sentiment d’impuissance.
Polluants et hyperactivité des enfants : appliquer des bonnes pratiques de santé environnementale
Pour diminuer les expositions préoccupantes pour vos enfants, vous pouvez vous appuyer sur des bonnes pratiques reconnues. Ces bonnes pratiques contribuent à entourer les enfants d’un environnement sain, avec moins de pollutions et plus de nature.
Passer en revue l’ensemble de ces bonnes pratiques, c’est l’objet de mon blog Santé des enfants et environnement. J’y explique ce qu’elles apportent, puis comment les mettre en œuvre au sein d’une vie de famille concrète. Je partage également des retours d’expériences, les miens et ceux des « Parents verts et prudents » qui font partie de ma communauté.

Quelques premiers exemples
- Aérer les pièces de la maison tous les jours, pendant au moins 10 minutes, été comme hiver.
- S’équiper d’un aspirateur à filtre HEPA.
- Nettoyer la maison avec des produits simples et dont la composition ne fait pas débat. Par exemple : vinaigre blanc, bicarbonate de soude…
- Pratiquer le jeu libre dans la nature de proximité, au moins un peu tous les jours.
- Laisser couler l’eau froide quelques instants le matin, avant de la consommer.
- Privilégier les poissons se trouvant au bas de la chaine alimentaire aquatique. Par exemple : sardines, maquereaux, anchois, etc.
- Pour le choix de produits de consommation courante, s’appuyer sur des labels reconnus et indiquant une absence ou une faible teneur en substances préoccupantes.
- Visiter régulièrement des espaces présentant de la végétation et des eaux de surface.
- Préférer les « vrais aliments » locaux aux « produits alimentaires ultra-transformés ».
- Repérer les peintures contenant du plomb et surveiller leur état de conservation.
- Etc.
Pour aller plus loin : entourons nos enfants d’environnements favorisant la santé !
Si ce thème des environnements favorisant la santé vous intéresse, alors je vous invite à me retrouver sur le blog Santé des enfants et environnement. J’y partage des conseils et des astuces pour vous aider à entourer les enfants d’environnements plus sains, avec moins de pollutions et plus de nature. Vous pouvez également suivre mon travail sous la forme de podcasts et de vidéos.
A bientôt !
Guillaume
Photos par Francisco Anzola, Didier Appéré et Enrique Saldivar.
Références – Polluants du quotidien : quel lien avec l’hyperactivité des enfants
1. Haute Autorité de Santé (HAS). Conduite à tenir en médecine de premier recours devant un enfant ou un adolescent susceptible d’avoir un trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Méthode Recommandations pour la pratique clinique. 2014.
2. American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual. 5th ed. 2013.
3. Sata F, Fukuoka H, Hanson M. Pre-emptive Medicine: Public Health Aspects of Developmental Origins of Health and Disease. Springer, 2019.
4. Demeneix B. Cocktail toxique. Odile Jacob, 2017.
5. Landrigan PJ et al. Textbook of Children’s Environmental Health. Oxford University Press, 2014.
6. URPS Médecins Libéraux PACA, Association Santé Environnement France (ASEF), Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur (ARS Paca). Comment protéger mes patients de la contamination chimique & des perturbateurs endocriniens – Guide à l’usage des médecins libéraux – Dossier scientifique. 2020.
7. Narbonne J-F. Sang pour sang toxique. Thierry Souccar Éditions, 2010.
8. National Institute of Mental Health. Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder in Children and Teens: What You Need to Know. 2021.
9. Bonvallot N, et al. Pour une gestion alerte du risque chimique Risques (éco)toxicologiques pour les êtres humains et l’environnement dans une logique de biodiversité. Expertise collective. Rapport final. 2021.
10. NIEHS/EPA Children’s Environmental Health and Disease – Prevention Research Centers. Impact Report – Protecting Children’s Health Where They Live, Learn, and Play. U.S. Environmental Protection Agency (EPA), 2017.
11. Colborn T, et al. L’homme en voie de disparition. Terre Vivante, 1997.
12. Ferguson A, et al. A Review of the Field on Children’s Exposure to Environmental Contaminants: A Risk Assessment Approach. Int J Environ Res Public Health 2017 ; 14 : 265.
13. Karr C. Addressing environmental contaminants in pediatric practice. Pediatrics in review 2011 ; 32.
14. Bard D, et al. Year Book Santé et environnement – Édition 2020. 2020.
15. Sagiv SK, et al. Prenatal Exposure to Mercury and Fish Consumption During Pregnancy and Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder–Related Behavior in Children. Archives of Pediatrics & Adolescent Medicine 2012 ; 166 : 1123–1131.
16. Rivollier F, et al. Perinatal Exposure to Environmental Endocrine Disruptors in the Emergence of Neurodevelopmental Psychiatric Diseases: A Systematic Review. International Journal of Environmental Research and Public Health 2019 ; 16.
17. Weissmann R, et al. Les perturbateurs endocriniens. Informations pour médecins, sages-femmes, professionnels de santé accompagnant les futurs et jeunes parents. 2021.
18. Bergman Å, et al. State of the science of endocrine disrupting chemicals 2012. World Health Organization, 2013.
19. Organisation mondiale de la santé (OMS). Human biomonitoring: facts and figures. Copenhagen: WHO Regional Office for Europe, 2015.
20. Demeneix B, Slama R. Endocrine Disruptors: From Scientific Evidence to Human Health Protection. European Parliament Reports 2019.
21. Rosenblatt B. Exposition aux pesticides autorisés en France en 2016 : quels risques pour la grossesse et l’enfant à naître ? Une revue systématique de la littérature. Thèse de Médecine générale Université Toulouse III – Paul Sabatier. 2017.
22. Wagner-Schuman M, et al. Association of pyrethroid pesticide exposure with attention-deficit/hyperactivity disorder in a nationally representative sample of U.S. children. Environmental Health 2015 ; 14 : 44.
23. Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Expertise collective Inserm. Pesticides et effets sur la santé : nouvelles données. 2021.
24. Landrigan PJ, et al. Pollution and children’s health. Science of the Total Environment 2019 ; 650 : 2389–2394.
25. Engel Stephanie M, et al. Prenatal Phthalate Exposure Is Associated with Childhood Behavior and Executive Functioning. Environmental Health Perspectives 2010 ; 118 : 565–571.
26. Engel Stephanie M., et al. Prenatal Phthalates, Maternal Thyroid Function, and Risk of Attention-Deficit Hyperactivity Disorder in the Norwegian Mother and Child Cohort. Environmental Health Perspectives 2018 ; 126 : 057004.
27. Landrigan PJ, Landrigan MM. Children and Environmental Toxins: What Everyone Needs to Know. Oxford University Press, 2018.
28. Balk SJ, Etzel RA. Protecting Your Child’s Health: Expert Answers to Urgent Environmental Questions. Am Acad Pediatrics, 2021.
29. Grandjean P, Landrigan PJ. Neurobehavioural effects of developmental toxicity. The Lancet Neurology 2014 ; 13 : 330–338.
30. Crofton KM, et al. Developmental neurotoxicity testing: a path forward. Congenital anomalies 2012 ; 52 : 140–146.
31. Trasande L, et al. Estimating Burden and Disease Costs of Exposure to Endocrine-Disrupting Chemicals in the European Union. The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism 2015 ; 100 : 1245–1255.
32. Bellanger M, et al. Neurobehavioral deficits, diseases, and associated costs of exposure to endocrine-disrupting chemicals in the European Union. The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism 2015 ; 100 : 1256–1266.
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